Chaque ouragan qui souffle sur le monde se voit attribuer un nom. Qu'est-ce qui nous empêche de nommer le nouveau vent qui souffle sur le marché immobilier bruxellois ? Je suggère que nous l'appelions YIMBY.
Dans le blog ci-dessous (lecture 8 min.), j'explique comment je suis arrivée à cette proposition. Je suis curieuse de ce que vous en pensez...
Ps. Les numéros entre parenthèses dans le texte renvoient à mes sources d'inspiration et d'information. Vous les trouverez à la fin du blog.
Inspiration
Vous l'avez peut-être déjà vécu : quelqu'un dit quelque chose, et c'est exactement ce que vous attendiez... Dans mon cas, cela s'est produit le 22 novembre 2018. À l'époque, je suivais un cours de post-graduat en "Entrepreneuriat coopératif" (1) à la KU Leuven, et le thème du jour était "Gestion stratégique et innovation". Le professeur Bart Van Looy (2) a parlé du modèle commercial innovant de l'organisation Aravind en Inde, et plus particulièrement de sa politique de différenciation des prix. Avec beaucoup d'enthousiasme, il nous a encouragés à lire le livre de Seelos et Mair (3). Pas une lecture facile, mais très inspirante...
La mission d'Aravind est de prévenir la cécité inutile chez les personnes souffrant de cataracte. Le monde médical dispose de suffisamment de connaissances et de compétences générales pour garantir que la cataracte n'entraîne pas la cécité. Cependant, dans les années 1970, le traitement de cette maladie était un processus de longue haleine et son prix était très élevé. En Inde, cela signifiait que la grande majorité de la population, notamment celle vivant dans les zones rurales, n'avait pas accès aux traitements médicaux. Aravind voulait mettre en place un service où le patient était au centre. Aujourd'hui, l'organisation est l'un des plus grands fournisseurs de services de soins oculaires au monde (4). Depuis sa création jusqu'à aujourd'hui, elle a adopté une politique de prix différenciés. Une minorité de patients se voit facturer le prix normal pour un traitement de qualité. La majorité d'entre eux bénéficient de la même qualité élevée, mais ne paient rien ou presque. Néanmoins, Aravind parvient à rester financièrement autonome. Son modèle d'entreprise repose sur 6 piliers : viabilité financière, qualité, efficacité, volume élevé, création de valeur, atteinte du groupe cible.
Le lien entre Aravind et Whatt
Quel est le rapport entre Aravind et la pénurie de logements de qualité à loyer abordable dans la région de Bruxelles-Capitale ? À première vue, il n'y a aucun lien entre les soins oculaires et le logement. Et l'Inde est très loin de Bruxelles. Mais si vous regardez de plus près, d'une perspective différente, avec un peu plus de distance, vous pouvez voir le lien. Le concept commercial et les objectifs du modèle Aravind sont tous applicables au modèle Whatt (= le projet de coopération présenté sur le site Whatt.eu).
Cible : les locataires de la Région de Bruxelles-Capitale
À Aravind, on s'efforce de traiter un maximum de patients atteints de cataracte. Ils empêchent ainsi les gens de devenir aveugles et de réduire considérablement leur qualité de vie.
Le modèle Whatt est axé sur le bien-être du locataire. Je pars du principe qu'il existe un lien entre les conditions de vie d'une personne et son bien-être. En général, les souhaits des locataires concernant leur logement peuvent être divisés en trois catégories : abordabilité, qualité et accessibilité. Ces trois facteurs déterminent ensemble la situation d'une personne en matière de logement. Si un ou plusieurs désirs ne sont pas satisfaits, la vie devient inquiétante et le bien-être général de la personne se détériore. Et comme de plus en plus de personnes se sentent mal dans leur situation de vie, on assiste à une diminution générale du bien-être dans la société. Il est donc important de pouvoir offrir à un maximum de locataires l'accès à un logement abordable et de qualité.
Cela nous occupera pendant un certain temps ! Dans la capitale de l'Europe, le groupe de locataires est très important et assez hétérogène. De combien de personnes parlons-nous ? Au 1er janvier 2020, la Région bruxelloise comptait 586 090 unités de logement (5). Sur la base d'une population de 1,2 million d'habitants, il est facile de calculer qu'en moyenne, 2 personnes occupent un logement. Environ 60 % des logements à Bruxelles sont loués, tandis que le restant est occupé par leur propriétaire. En fonction des hypothèses faites sur le nombre moyen de personnes par location, on peut conclure qu'il y a entre 600.000 et 800.000 personnes vivant dans un logement loué en Région bruxelloise.
Différenciation des loyers
Le modèle Aravind applique une politique de prix différenciés. Il abaisse délibérément le seuil d'entrée pour les patients qui ne peuvent pas payer les frais habituels d'une opération de la cataracte. Ils sont aidés gratuitement ou paient un tarif très réduit.
En Belgique, nous bénéficions d'un système de sécurité sociale bien développé. Chacune des trois régions du pays a une politique du logement. Grâce à de nombreuses réglementations, le gouvernement veille à ce que tous les habitants puissent exercer leur droit au logement. Les statistiques sur le logement social en Région bruxelloise (6) montrent qu'il existe 40 000 unités de logement social. Ceux-ci représentent 7% du nombre total de logements dans la région et 11% du nombre total de logements loués. Il s'agit donc d'une part relativement faible. En tout état de cause, il est trop faible pour pouvoir déterminer le niveau général des prix des logements locatifs à Bruxelles. C'est dans le secteur privé que les prix sont fixés. Nous avons actuellement affaire à un véritable marché de bailleurs (où la demande de logements locatifs est supérieure à l'offre), ce qui entraîne une hausse des prix. Ces augmentations de prix sont parfois justifiées, parfois non.
Le logement est précieux
Tout le monde veut un logement abordable. Personne ne veut dépenser plus que nécessaire pour sa maison. Après tout, plus les coûts de logement grèvent le revenu disponible d'un ménage, moins il en reste pour les autres dépenses du ménage. Les médias font souvent référence aux 50 000 familles ou aux 100 000 personnes de la Région bruxelloise qui sont sur une liste d'attente pour un logement social. Pendant cette attente, qui peut parfois durer jusqu'à dix ans, ces familles doivent se tourner vers le marché locatif privé. Ils se battent pour joindre les deux bouts, mois après mois. Cependant, ils ne sont pas les seuls à être touchés. Il suffit de consulter le rapport sur la pauvreté en Région bruxelloise (7) pour connaître les nombreux autres ménages qui ont des soucis financiers : ménages d'une seule personne, familles à faibles revenus professionnels, familles monoparentales, personnes bénéficiant de revenus de remplacement, retraités, etc.
Des tarifs de location différents pour une même qualité
La proposition du modèle Whatt est d'appliquer un système de différenciation des prix, comme chez Aravind. Certain(e)s locataires d'un immeuble se voient appliquer un loyer inférieur à celui de la majorité des locataires du même immeuble, pour une même qualité de logement.
Est-ce réaliste ?
À mon avis, il est possible à l'heure actuelle, sans trop de persuasion, de créer un soutien pour une politique de prix différenciés. Après tout, de nombreuses personnes sont prêtes à coopérer pour trouver des solutions aux problèmes sociétaux.
- Les locataires qui bénéficient d'un taux plus bas se réjouiront de ce concept. Ils/elles auront plus de facilité à joindre les deux bouts. Un fardeau est enlevé de leurs épaules.
- Les autres locataires de l'immeuble paient le tarif normal. Tant qu'ils/elles bénéficient eux/elles-mêmes d'un bon rapport qualité-prix pour les logements qu'ils/elles louent dans l'immeuble, cela ne doit pas les déranger que certains bénéficient d'un loyer réduit. Comparez cela à la visite d'un musée : certaines personnes paient le plein tarif d'entrée, d'autres paient moins ou rien du tout, mais toutes ont la possibilité de voir et d'expérimenter la même beauté. Dans le modèle Whatt, le concept appliqué de différenciation des prix est communiqué ouvertement. Les locataires qui ne sont pas d'accord avec la politique de prix sont libres de louer ailleurs.
- Les instances publiques n'y voient pas d'inconvénient. Après tout, elles sont elles-mêmes à la recherche de modèles de location qui tiennent compte des locataires aux ressources financières plus limitées. Les autorités publiques savent mieux que quiconque que tout est lié à tout le reste. Une personne dont le loyer est trop élevé par rapport à ses revenus court un plus grand risque de pauvreté et de tous les problèmes qui y sont associés. Elle se tourne alors vers les autorités publiques pour obtenir de l'aide. Lorsque ce cercle vicieux est brisé, les tâches du gouvernement s'allègent. Il peut s'atteler à la suppression de ses listes d'attente pour les logements sociaux.
- Enfin, le secteur social, les professionnel(le)s de la santé. Ils/elles pourront devenir plus productifs/productives dès lors qu'une grande partie de leur "temps disponible par patient" ne devra plus être consacrée à la recherche de solutions aux coûts élevés du logement de leur groupe cible.
Accessibilité
Dans le modèle Aravind, la population locale défavorisée bénéficie de la même qualité de soins oculaires que le patient qui, attiré par la réputation particulièrement bonne des centres médicaux Aravind, arrive par avion d'un autre continent.
Pourquoi les bailleurs de la Région bruxelloise ne pourraient-ils pas avoir une politique aussi inclusive envers les locataires ?
YIMBY : accès préférentiel pour des groupes cibles spécifiques
Soyons francs, le marché de la location est marqué par les préjugés, la discrimination et la stigmatisation. Le résultat de tout cela est qu'un grand groupe de locataires potentiels est exclu, refusé ou même abusé. Il y a aussi l'effet dit NIMBY (Not In My Backyard) qui entre en jeu : les gens sont d'accord avec les diverses propositions visant à résoudre les problèmes, pour autant qu'elles ne les concernent pas de trop près ou qu'elles ne menacent pas de les affecter personnellement.
Pourtant, ce ne sont là que des clichés. La majorité des gens se soucient de leurs concitoyen(ne)s, d'où qu'ils/elles viennent, quel que soit leur passé, quelle que soit leur apparence. Ils y voient un enrichissement personnel, certains y voient même un défi personnel, celui de donner une chance à l'autre, à l'étranger/étrangère, d'entrer dans la brèche, ou simplement de passer du temps avec lui/elle.
Alors...
Pourquoi ne pas envisager de réserver certains logements d'un immeuble aux personnes ayant des difficultés d'accès au logement ? Créer délibérément un effet YIMBY (Yes in My Backyard) ?
Comme pour la différenciation des prix (voir plus haut dans ce blog), il n'est pas forcément si difficile de trouver un soutien pour le concept YIMBY.
- Les locataires qui bénéficient d'un accès préférentiel seront ravi(e)s de cette opportunité ;
- Les autres locataires du bâtiment se verront expliquer le concept au préalable. Ceux/celles qui s'engagent dans le bail sont ouvert(e)s à la diversité. Ils/elles s'efforcent de créer une société inclusive et mettent consciemment leurs préjugés de côté. Ils/elles veulent donner une chance à YIMBY.
- Les autorités publiques et les organisations travaillant sur le bien-être et l'égalité des chances se sentiront soutenues. Si les propriétaires prennent eux/elles-mêmes des initiatives pour améliorer l'accessibilité des logements locatifs, le gouvernement n'a pas besoin de les y obliger. Le gouvernement verra ses dépenses en matière d'application de la loi et de sanctions pour non-conformité diminuer.
- Pour le secteur social et les professionnels des soins, il est plus simple de travailler si leurs patient(e)s se sentent bien accueilli(e)s dans le bâtiment où ils/elles vivent. Pour leur groupe cible, le chemin de la guérison, de la reconquête de l'estime de soi, est considérablement raccourci.
La durabilité au cœur de l'action
Dans le modèle Aravind, la qualité prime, jusqu’au moindre détail du service offert. De cette façon, l'organisation garde une longueur d'avance sur la concurrence. Et elle continue d'attirer des clients du monde entier.
La même philosophie de qualité sera appliquée dans la coopérative immobilière Whatt. Et plus encore. Il n'y a pas que le service de location qui doit être de premier ordre. La construction et la rénovation des bâtiments doivent se faire de manière durable. La continuité dans l'ensemble doit être assurée. Un sujet trop important pour être abordé dans ce blog. Un blog séparé sera consacré à ce sujet.
Réaction et interaction demandées
Je l'admets. Je suis plutôt enthousiaste à propos d'Aravind et de Whatt. Ce dont le cœur est plein, la bouche l'est aussi. Et aussi longtemps que cela reste théorique, il n'y a aucun risque.
Mais, si toutes les parties prenantes sont d'accord sur le concept, qu'est-ce qui nous empêche de passer des paroles aux actes ? Qu'attendons-nous pour faire d'un projet immobilier une réalité ?
En bref, je suis impatiente de recevoir vos réactions. Pour lire vos réflexions et contre-propositions. Ne vous retenez pas. Veuillez rester poli(e) quand même.
Blog suivant
Ce blog était principalement consacré à la prise de position en faveur des locataires de Bruxelles. Le prochain blog de Whatt portera sur le profil souhaité des bailleurs de la capitale.
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Au début de ma nouvelle carrière de blogueuse, je dois encore trouver le bon rythme. La bonne fréquence des blogs n'est pas encore claire. Si vous souhaitez être informé(e) de la publication de nouveaux blogs par courrier électronique, veillez à vous inscrire. Plus l'audience du blog est grande, plus c'est convivial !
Sources d'inspiration et d'information
(1) Plus d’informations sur le programme de postgraduat : https://feb.kuleuven.be/levenslang-leren/cooperatief_ondernemen
(2) Professeur Bart Van Looy/ KU Leuven: https://www.kuleuven.be/wieiswie/nl/person/00014261
(3) Innovation and Scaling for Impact. How Effective Social Enterprises Do It. Christian Seelos and Johanna Mair, Stanford University Press, 2017.
(4) En savoir plus sur l'organisation Aravind ? Voir ici : https://aravind.org/our-story/
(5) BISA = Institut Bruxellois de Statistique et d'Analyse. https://bisa.brussels/themas/ruimtelijke-ordening-en-vastgoed/residentiele-en-niet-residentiele-gebouwenparken
(6) https://bisa.brussels/themas/ruimtelijke-ordening-en-vastgoed/sociale-woningen
(7) Baromètre du bien-être, Rapport sur la pauvreté à Bruxelles 2020, publication de l'Observatoire bruxellois de la santé et du bien-être.